vendredi 23 juillet 2010

Parce que j'écoute Louise




Une chanson que nous avons tous aimé à cette époque. Nous l'avons tous - tous aimé. Nous étions unis. Alors. Mais cette union fonctionnait sur le mensonge et l'incompréhension.


Est-il possible de dire que tout ceci était mensonge - il faut penser que non, car à l'époque mes sentiments étaient vrais.

Pourquoi je ressens cela, rétrospectivement, comme un mensonge.

Il y avait mes parents et il y avait la façon dont nous envisagions la famille. La famille était tout pour ma mère, disait-elle. Tout. Elle aurait, disait-elle, tué pour nous. Pour nous, ses enfants, moins pour mon père, qui lui avait surtout servi à faire les enfants. Mais je ne voyais pas les choses de cette façon.
A l'époque, cet amour de ma mère me paraissait un peu pesant. Lorsqu'elle en parlait, je ne voyais pas pourquoi il fallait en faire tout un plat, car autour de moi, il y avait d'autres petites filles, avec d'autres mamans, dont rien ne permettait de penser qu'elles étaient de moins bonnes mamans. L'amour maternel ne me paraissait pas si pompeux, mais quotidien. SI j'y réfléchis, je me rends compte que ma mère exaltait la qualité et la quantité de son amour pour nous. Elle se décrivait dans son amour de mère. Elle décrivait l'amour d'une mère, d'une façon lyrique, et il était sous entendu que cet amour était le plus beau, et qu'elle nous aimait comme ça.

A titre de comparaison, je dis à mes enfants qu'ils sont beaux, mignons, et que je les aime. Je ne décris pas l'amour d'une mère pour ensuite préciser que je ressens cet amour. Ma mère n'a jamais dit à ses enfants que nous étions si formidables (d'une façon ou d'une autre) qu'elle nous aimait. Elle nous aimait parce qu'elle était sous l'emprise de cet amour maternel qu'elle décrivait comme si exaltant.

Mais bien que je ne comprenne pas pourquoi c'était si merveilleux, j'avais bien compris qu'il fallait être exaltée d'avoir une mère touchée par la magie de l'amour maternel. Ma mère me parlait de petits enfants que leurs parents n'aimaient pas. Moi, j'avais la chance d'être aimée. Je devais m'en rendre compte, et je m'en rendais compte.

Tout se passait comme si j'avais une chance immense. En même temps, quand je regardais autour de moi, dans ma simplicité d'esprit, je ne trouvais pas que j'étais mieux lotie que mon entourage, à l'exception d'une copine dont la mère était vraiment chiante. Et même, à l'exception de cette fille, la plupart des gens que je connaissais avait des parents plus cools que mes parents. Ils avaient le droit de faire toutes sortes de choses qui m'étaient interdites : des fêtes, des sorties. Nous, nous n'avions le droit de ne rien faire. Il fallait rentrer tôt. La permission de minuit était un concept lointain : nous n'avions le droit d'aller à des soirées qu'accompagnées par mon père, et si les parents des enfants étaient là. J'avais renoncé à sortir, car le ridicule était total, j'avais honte et ne savais comment me sortir de là. Toutes les autres se retrouvaient entre elles et se rendaient ensemble à la soirée. Moi, non.

(Plus tard, quand j'avais 23 ans, mon père m'a accompagné un soir à 8 h 30 du soir chez une copine pour un trajet de 15 minutes dans le 15ème ; il avait peur ; j'avais franchi le seuil de la honte et l'ai simplement expliqué à mon amie qui, nous n'étions plus ado, a trouvé la chose cocasse).

Donc, la plupart des parents étaient plus cools, sauf un ou deux, mais ma mère était tout de même la plus extraordinaire des mères. En fait, elle essayait de nous faire ne pas désirer ce dont elle nous privait. je n'étais pas le genre de fille à sortir, tout de même ? Et en effet, j'ai coupé mon envie de sortir pour ne pas être une ado comme les autres, et être aussi exceptionnelle en temps qu'ado (je ne voulais pas de copines) que ma mère l'était en tant que mère.

Puis, vers 20 ans, j'ai eu des amies et j'ai eu ma vie. Ma mère a détesté cette vie et c'est là que son attitude a changé. Je n'ai plus vécu avec elle à 21 ans, et toutes les amies que j'ai rencontré entre 21 ans et 22 ans, elle les a détesté ; puis j'ai trouvé LA solution. J'ai arrêté de lui parler de mes amis.

C'est à partir de ce moment que j'ai regardé le passé avec scepticisme. J'ai compris le mensonge. Nous n'étions pas authentiquement heureux et unis. Nous étions pris dans la vision de ma mère. Nous voyions les choses comme elle le voyait : elle au dessus, mon père en soutien, et ses enfants, dans un nid bien clos. Le bonheur de ce nid bien clos était le bonheur de ceux qui ne savent pas qu'il y a un monde extérieur. Quand je suis sortie de ce monde extérieur, cela a été comme une trahison pour ma mère.
Je n'ai jamais pu revenir en arrière.
Je ne pouvais pas avoir le monde de ma mère et le monde. Même en mentant.

Pourtant j'ai menti les dernières années. Je ne parlais plus des amis que je voyais, des activités que je faisais. Je ne lui parlais que de mes enfants. Et tu vois des amis, tu fais des choses, me disait-elle ?
- Non, non, disais-je ingénument. Et j'ajoutais : tu sais, ça m'occupe, les enfants.
- Ah, bien, très bien, disait-elle. Je suis contente : il y a eu une époque où tu étais excitée, tu faisais trop de choses. Mais là, tu te consacres à tes enfants, c'est bien. Tu sais, c'est ce que j'ai fait toute ma vie, et je n'en ai pas honte.

De temps en temps, j'avouais un dîner en ville, une sortie, une rencontre entre mamans.

- Ah ! disait-elle en riant sèchement. Ça te reprend ? Et le pauvre gamin, il suit, évidemment ?
- Il adore ça, disais-je.
- C'est ce que tu te dis. Un enfant n'a besoin que de sa mère.

Je ne pouvais pas avoir les deux, il fallait mettre un mur entre. Avec elle, je n'étais pas moi-même ; avec les autres, non plus, me semblait-il, car je ne pouvais pas intégrer ma famille à ma vie, en parler tout simplement.

Oh, c'est lourd d'y repenser. Sa mort vit ma libération.

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